Ne pas retenir un sourire

Je me promène.

Un peu le blues, un peu maussade.

Je rumine.

Rien de spécial,
aucun drame,
aucune raison,
aucune excuse.

Simplement,
comme ça,
je rumine des idées… même pas noires, non.

Des idées grises.

Grises comme la poussière,
lorsque ça fait trop longtemps que l’aspirateur est dans l’armoire.

Grises comme un jour sans pain,
sans faim,
sans fin.

Grises comme un noir clair,
qui veut bien dédramatiser,
mais sans passer pour un blanc;
ou comme un blanc cassé,
qui se sent davantage cassé que blanc.

~ ~ ~

Je rumine, je déprime, je me mine,
comme un con.

Alors que j’avance,
sans autre but que la marche,
parce que je dois bouger,
pour mon dos,
pour mes jambes,
pour sortir d’une sédentarité dont mon ostéo me dit qu’elle est
«un luxe que vous ne pouvez plus vous offrir, monsieur Python!»,
alors que je progresse donc,
sans saveur ni plaisir,
les yeux dans le vague,
mon regard est mollement attiré par une couleur qui tranche,
une couleur blanche sur le fond vert du feuillage.

Ce sont des fleurs qui commencent à éclore,
sur un arbre dont le jeune feuillage est déjà bien avancé.

Et là, de manière inattendue,
comme une surprise qui n’avait pas été annoncée,
une curieuse sensation physique effleure ma conscience.

Un léger sourire relève timidement les coins de mes lèvres.

Un sourire que je n’ai pas senti venir.

Un sourire incongru,
en dissonance totale avec mon état intérieur.

Dans un réflexe immédiat,
motivé sans doute par mon goût pour l’harmonie et la logique,
je m’apprête à le retenir,
à l’effacer de ma face.

C’est alors que,
des tréfonds de moi-même,
une voix intime m’interpelle vertement:

— Hé mais oh! Dis… Ça va l’chalet?

(Oui, ma voix intérieure ne s’encombre pas de formules de politesse.)

« Et pis quoi encore? Elles ont bon dos, l’harmonie et la logique! D’ailleurs, si t’as un peu de jugeote, tu peux très bien te laisser mettre «logiquement en harmonie» avec la beauté de la nature, Ducon! Tu crois pas? Hein? Et tac! Pris en flagrant délit de fausses excuses, le Dom’ !

«Mieux: ton corps, que tu trimballes comme un fardeau encombrant, veut s’alléger en allégeant ton humeur, et toi, comme un couillon, tu le laisses pas faire, tu rouscailles, sous prétexte qu’il est soi-disant en train de disharmoniser ta logique à la con! J’te jure! Qu’est-ce qu’y faut pas entendre? Tu vas me laisser ce sourire sur ta grande gueule, patate!

« Et même, tu vas l’accentuer, ouais, comme ça!

«Et respire, banane! Et les épaules, tu les relâches, tes épaules, ou bien faut que j’m’asseye dessus?

«Mais redresse-toi, bordel! Non, pas comme ça, t’es pas à l’armée! Relâche les épaules, j’te dis! Droit, mais dé-ten-du!

«Voilàààà. Tu vois quand tu veux! C’est pas la mort! Non? 

«Faut vraiment tout lui dire, à çui-là! »

~ ~ ~

C’est alors que,
comme on entend le bruit du frigo lorsqu’il s’arrête,
j’ai soudainement réalisé
que j’avais cessé de ruminer.

Fleurs blanches sur une branche d'arbre au printemps

1 réflexion sur “Ne pas retenir un sourire”

  1. Lilianne Humbert

    eh l’ami enfin..tu sors de ta ruminante tanière! c’est du soleil sur ta fleur de pommier! bravo et vive la suite
    de l’été!

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