La Montagne

Les humains lui ont donné le nom de Brienzer Rothorn. Parce qu’elle domine la localité à laquelle ils avaient donné le nom de Brienz.

Mais elle, elle s’en fout, la Montagne.

Elle pourrait s’appeler Zigouigoui Tralala qu’elle n’en aurait pas moins de hauteur, de dignité, de majesté. Elle se fiche pas mal de l’étiquette qu’on lui colle, elle est.

D’ailleurs, pour tout dire, elle a existé bien avant qu’on lui donne un nom, qu’on lui mesure l’altitude, bien avant même qu’on invente le mot de Montagne.

Quand on lui a dit qu’elle pouvait s’enorgueillir de culminer à 2’350 mètres, elle s’est demandé ce que pouvait signifier ce mot, s’enorgueillir.

Elle n’en a rien à faire, d’être haute.

Rien à faire non plus de ne pas appartenir au club des plus hautes. Car elle sait que si Himalaya, sa lointaine cousine, passait par là, elle se sentirait bien petite. Mais elle sait aussi qu’Himalaya ne se moquerait pas d’elle, ne la prendrait pas de haut.

C’est comme ça, entre montagnes. On se respecte.

Et l’on respecte aussi les vallées et les plaines, sans lesquelles on n’existerait pas…

~ ~ ~

Moi, petit humain culminant à 165 cm, je suis assis, et je contemple sa face nord, magnifique.

Je me sens petit, mais petit…

Avec ses miroirs de roc, ses cônes d’éboulement, ses surfaces herbeuses parcourues de sapins qui se hissent aussi haut que Dame Nature les y autorise, elle me présente une face irrégulière, mosaïquée d’une multitude de textures dialoguant en une harmonie hypnotique.

Depuis deux semaines que je suis à ses pieds pour les vacances, je suis presque triste de devoir demain la quitter. Alors je commence à écrire ce billet. Et lorsque je serai de retour chez moi, dans la ville, j’en achèverai l’écriture, histoire de me reconnecter à elle.

Le Brienzer Rothorn à l'aube

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Je la regarde tout mon soûl ; je suis complètement fasciné par l’immobilité. Quelque chose en moi, presque insaisissable, entre en résonance avec sa majesté ; majesté que moi, petit humain qui ne fait que passer, je ressens comme étant éternelle.

Faut dire qu’elle est belle par tous les temps, dans toutes les lumières, de tous les points de vue. Même lorsque les nuages ou le brouillard la dissimulent à mes yeux, je la sais là, je la sens. Comme si elle me soufflait dans le creux de l’oreille : « T’inquiète pas, petit. Je suis là. Ferme les yeux, et tu me verras. »

Au long de la journée, les différents angles d’éclairage nous en dévoilent les reliefs, les arêtes, les différents plans. Cette ligne, par exemple, que je croyais être une simple limite entre herbe et rocher, se révèle être une crête herbeuse, distante de plusieurs centaines de mètres de la paroi qui surgit derrière elle. Je comprends alors qu’entre ces deux plans, un morceau de monde m’échappe.

Le soir, au coucher du soleil, lorsque celui-ci insinue ses deniers rayons entre les nuages et l’horizon, la Montagne nous offre un light show monumental ; un ralenti savoureux, onctueux, d’une intensité incroyable, d’une profondeur abyssale, où affleurent pour un temps des harmoniques entre rose et orange…

Pourtant, à la base, sa palette de couleurs n’en contient que deux : le gris et le vert.

Enfin… je devrais plutôt écrire : les gris et les verts. Car ils sont nombreux.

Et là, sur la Montagne, ces couleurs sont à mes yeux les plus belles au monde.

Il faut dire tout de même que le vert de l’herbe tire par endroits un peu sur le jaune, et que le gris des rochers se teinte çà et là de reflets brunâtres. Juste ce qu’il faut pour entrouvrir l’espace des couleurs sur un probable infini.

Dis, la Montagne, tu veux bien m’enseigner la patience et la simplicité d’être ce que je suis ?

Ou plutôt… de devenir ce que je suis, comme toi, sans jamais me croire achevé ?

Tu veux bien ?

Le Brienzer Rothorn éclairé par le couchant

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4 réflexions sur “La Montagne”

  1. Merci pour cette jolie conversation avec ta compagne de deux semaines.

    Je n’aurai malheureusement pas les mêmes inquiétudes lors de mon retour à la maison, la Hollande, comment dire… n’est pas très montagneuse.

    Ça fait tout bizarre pour un Suisse.

    1. Daniel Pesch

      C’est vrai que la Montagne, c’est magique : immuable et immobile, sa majesté nous en impose…
      J’ai des sentiments proches de ceux que tu décris lorsqu’assis sur un bloc de granit breton face à ce bout d’Atlantique qu’on appelle « La Manche », je regarde la Mer. Je peux rester là longtemps à observer sa mouvance aléatoire, ses éclats sur les rochers. Comme l’écrivait Paul Valéry : « La mer, la mer toujours recommencée ». Spectacle permanent.

      1. Daniel, cela fait longtemps que j’ai envie de revoir la mer, ou plutôt l’océan. Chaque fois que j’en vois un bout à la télé, je reste scotché. C’est dire si ton poste me met l’eau (salée) à la bouche ! Je suis toujours fasciné par cette apparente contradiction entre l’apparente fragilité de sa nature liquide (qui me glisse entre les doigts) et la puissance qu’elle peut déployer lorsqu’elle se déchaîne.

    2. François, j’ai presque sursauté en lisant « ta compagne de deux semaines »! Parce que j’étais naturellement là-bas avec Bernadette! Elle a d’ailleurs aussi largement contemplé cette « compagne »!
      Bernadette qui m’a raconté d’ailleurs que, il y a fort longtemps, au retour de vacances en Hollande avec des copines, elle était toute heureuse de retrouver des horizons montagneux.

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