…bénir

(Suite et fin de l’article précédent)

C’était un matin, en me rendant au travail. Je venais de rire intérieurement à la pensée d’une situation vécue récemment. Voyant un oiseau posé sur le chemin devant moi, je me suis arrêté et lui ai souri en lui disant bonjour, doucement. Puis, lorsqu’il s’est envolé, j’ai repris ma marche. En amoureux du chiffre trois que je suis, m’est alors venue cette question: « Que pourrais-je ajouter à Rire et Sourire pour en faire un trio? » Et très vite, un troisième mot en ir a surgi: bénir.

Ma première réaction a été de m’exclamer intérieurement, avec un sens de la concision qui n’a d’égal que l’intensité dramatique du terme choisi : “Oulà…”

Car vois-tu, Toikimeli, ce mot, en moi, a des relents suspects. Il fait partie de ma culture religieuse; je l’ai lu, entendu et prononcé très souvent dans ma vie de croyant engagé. Et à présent que je me suis « dégagé », maintenant que j’ai pris mes distances avec les choses de la foi et que je ne me considère plus du tout comme catholique, ni chrétien, ni même croyant, tout le vocabulaire de ce domaine-là me met instinctivement sur les pattes de derrière. Non que je condamne la religion en tant que telle. Mais peut-être n’ai-je pas encore fini de nettoyer les scories d’interprétations pathogènes que j’ai pu en faire (ou en voir faire). Donc du coup, beaucoup de ce qui m’y relie me hérisse au premier abord, et même, souvent, au deuxième.

Pourtant, c’est bien ce mot, bénir, qui s’est proposé à moi comme une évidence. Passé ce premier réflexe de recul, j’ai examiné ce trio.

Je tente un cheminement:

Rire,

c’est un acte extérieur, ou plutôt une extériorisation. Ça vient du profond des entrailles, et ça jaillit, ça éclate parfois, ça fait du bruit, ça communique en s’imposant. Il est difficile de ne pas entendre un rire.

Sourire,

c’est un acte plus doux, extérieur en apparence, mais qui se propose plutôt qu’il ne s’impose. Il suffit de détourner le regard ou de fermer les yeux pour ne plus le recevoir. Et en même temps, il peut avoir une puissance, une force de tendresse (j’ai souri lorsque m’est venue cette expression, qui m’a surpris). Offrir un sourire, c’est offrir une présence, ouvrir une voie, proposer un lien.
(Alors bien sûr, il peut y avoir mille perversions, mille malentendus, mille abus et récupérations. Je ne prétends naturellement pas que le sourire est « pur » en soi. Mais je parle ici d’un sourire bienveillant, qui vient du meilleur de soi et se propose au meilleur de l’autre.)

Bénir,

en tant qu’attitude intérieure (même si elle peut être verbalisée), c’est une position de vie qui est liée à la gratitude.

Étymologiquement, ce mot signifie dire du bien. Et dans ma tradition religieuse, la parole de Dieu est opérante (“Dieu dit: que la lumière soit! Et la lumière fut”). En conséquence, lorsque c’est Dieu qui dit du bien, du bien arrive. Si Dieu bénit une personne, celle-ci verra “du bien lui arriver”.

Sans aucunement me prendre pour Dieu (Dieu m’en préserve!), je suis convaincu que toute parole humaine est opérante. Dire du bien, c’est faire du bien; dire du mal, c’est faire du mal. Je crois donc que, lorsque je bénis, non seulement je manifeste ma gratitude, mais je crée également une forme de bienfait. Et ce bienfait profite à la personne ou la chose bénie, mais aussi à moi-même.

Attention! Je ne suis pas en train de me perdre dans une sorte de délire ésotérique, non. Ce que je dis là, je l’ai entendu dans la bouche de scientifiques, je l’ai lu sous la plume de psychologues et chercheurs à la rigueur toute rationnelle. La pratique régulière de la gratitude est bénéfique à différents niveaux. Je ne vais pas ici me lancer dans un développement plus détaillé, car ça n’est pas mon propos. Je le mentionne juste pour situer ma vision de la bénédiction dans un contexte autre que religieux, et ce faisant je t’explique comment, à partir de ce mouvement de recul initial, ce mot de bénir a finalement pris place au côté du rire et du sourire.

Je bénis cette plénitude de la moitié du verre, je bénis ce beau ciel qui m’accueille sur cette terrasse où j’écris, je bénis le glouglou de la fontaine à côté de moi, je bénis mes hôtes d’une semaine de vacances qui m’ont si bien reçu, je bénis les gens qui s’activent durant toute cette semaine pour nous permettre de vivre un magnifique festival de jazz dans ce splendide écrin qu’est la région du Lavaux, je bénis au nom du Père, du Fils et du… ben non, justement! Je bénis en mon nom propre et uniquement en mon nom. C’est-à-dire que je me mets en relation avec toutes ces belles choses, avec ces belles personnes, cette belle eau; je prends le temps de focaliser mon attention sur tout cela, sans pour autant faire l’impasse sur la moitié vide du verre, sur la température qui commence à engourdir mes doigts, sur le bruit des moteurs qui passent sur la route, juste derrière moi…

~ ~ ~

Ce troisième palier me semble bien s’accorder avec les deux premiers. En le franchissant, je vais vers l’intérieur, mais sans m’enfermer. Je vais vers l’intime, mais je bascule dans l’universel. Je me centre en moi en me centrant sur l’autre. Si rire me met en vibration avec les personnes qui m’entourent, bénir me fait vibrer avec le cosmos et ses habitants.

Rire, sourire, bénir, trois outils qui me sont utiles sur mon chemin de bonheur.

Ah oui: bonheur. Peut-être dois-je préciser ce que je veux dire par là.

J’écris bien « chemin de bonheur », et non « chemin vers le bonheur ». Car je suis de plus en plus convaincu que le bonheur n’est pas un but, mais un chemin. Un des nombreux chemins qui font mon existence humaine. Avec des irrégularités, des nids de poule, des accotements pas toujours stabilisés, quelques impasses aussi, donc un chemin multiple et aventureux.

Un sourire lumineux réchauffe le coeur…

3 réflexions sur “…bénir”

  1. Meyer Catherine

    Cher Dominique,
    Je découvre pour la première fois tes billets et suis très touchée par ton témoignage, je me retrouve dans ta façon de voir la vie et de concevoir le lien avec …. (quel mot choisir : le Tout, le Rien, l’Autre, la Beauté etc…) il n’y a pas besoin de religion pour être relié.
    Merci, je vais penser à rire, sourire et bénir !

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