Le coup de manivelle

Tu te souviens de ces vieilles voitures?

Bon. Peut-être que tu ne t’en souviens pas personnellement, hein, comme moi d’ailleurs. Mais dans les films anciens, dans certains documentaires, t’en as certainement vu: pour les mettre en marche, il fallait introduire une manivelle dans le moteur, et tourner énergiquement pour faire démarrer le moteur. Et lorsque celui-ci calait, à un stop par exemple, il fallait sortir de l’habitacle, prendre la manivelle, et aller redémarrer le moteur “à la main”.

Par n’importe quel temps.

Plus tard on a inventé le démarreur électrique et il suffisait dès lors de presser un bouton pour relancer le bidule.

Sans quitter son siège.

Et bien, tu sais quoi? Des fois, je me sens un peu comme ces vieilles guimbardes. Et il me semble que j’ai souvent besoin de sortir — par n’importe quel temps — pour remettre en marche mon moteur intérieur. Et le matin, la première mise en marche m’est singulièrement antipathique.

~ ~ ~

Récemment, il m’est apparu que souvent, en pareille situation, j’ai du mal à me motiver pour aller donner ce coup de manivelle. Pasqu’il en faut, de l’énergie; elle ne se laisse pas faire facilement, la manivelle! Elle résiste! Ou plutôt non, c’est le moteur qui résiste. La manivelle, elle, elle demande que ça. C’est son job de tourner en rond. Elle n’y voit pas d’inconvénient. Mais c’est vrai que c’est un boulot ingrat: d’un côté il y a l’automobiliste qui lui met la pression, qui ne la ménage pas, et de l’autre, il y a le moteur qui, lui, resterait bien au repos et avec qui elle a parfois du mal à s’entendre:

– Non, moi ça va. Chui peinard, lâche-moi!

– Mais hé, c’est que j’ai pas envie d’y passer la journée, moi. Et pis c’est ton boulot, de tourner et de faire avancer ce tas de ferraille. Moi, le mien, c’est de te faire démarrer.

– Ben justement, toi, après, t’es tranquille. Moi, j’en ai pour vachement plus longtemps…

– Allez vas-y, démarre! Tu sais qu’on va pas te lâcher. Tu veux quand même pas qu’on te tourne à la main pendant tout le trajet, non?

Et c’est là que j’ai réalisé un point important de cette problématique. L’énergie dont j’ai besoin pour lancer le moteur est importante, certes. Et suivant la météo, c’est galère. Mais je n’ai besoin de cette énergie que pour le démarrage. Après, c’est le moteur qui prend le relai et je peux rentrer dans l’habitacle, au sec, et faire mon voyage.

Or il me semble que je me conduis souvent comme s’il s’agissait de passer ma journée à tourner la manivelle. Normal que je me décourage, non?

Bon.

Cela dit, j’ai l’impression que mon moteur a tendance à se faire prier. Et de plus, il cale souvent. Je dois fréquemment sortir de l’habitacle et aller donner ce tour de manivelle, voir quelques tours lorsque le moteur renâcle. Tu me diras que dans ces cas-là, il suffit de faire quelques réglages, ou de les faire faire par un mécano.

Mais c’est là que ça se gâte. Parce que le garagiste, il garde ma voiture quelques heures et quand je passe la reprendre elle redémarre au quart de tour. Je n’ai rien à faire. Alors que moi, s’agissant de ma personne, je ne peux pas la “laisser au…” au quoi, d’ailleurs? Au psy? Au toubib? Au maître spirituel? Au nutritionniste? Au guérisseur? Au chamane?

Non.

S’agissant de moi, je dois impérativement participer au processus de réglage, de réparation, d’optimisation. Je dirais même que, quelle que soit la personne à laquelle je demande “d’intervenir”, c’est en fait moi qui interviendrai. Elle ne fera que me guider, me questionner, me donner quelques pistes sur lesquelles j’aurai à progresser moi-même.

Tu sais, un peu comme ces ateliers de réparation de vélo. Pendant toute une journée, des mécaniciens sont à disposition. Tu y vas avec ta bécane et un spécialiste te montre comment diagnostiquer le problème et mettre en place la solution. Te montre aussi comment prévenir de nouveaux problèmes et comment optimiser le fonctionnement de l’engin. Quitte à te vendre quelques pièces détachées et à te prêter quelques-uns de ses outils, que tu pourras éventuellement te procurer par la suite pour gagner en autonomie.

Mais moi, j’ai toujours préféré laisser mon vélo au mécano et aller le rechercher quand il est prêt.

Mettre les mains dans le cambouis, très peu pour moi.

C’est grave, docteur?

5 réflexions sur “Le coup de manivelle”

  1. Ben disons que ça ne va pas arranger le problème…
    Comme tu le dis, tu vas devoir participer.
    Parce que les autos, les vélos, tout ce dont tu parles, si tu laisses aller, ça devient des épaves…

    1. Oui, sauf que justement, auto et vélos peuvent être confier à un mécano qui s’en occupe sans que j’aie à participer autrement que financièrement.
      Alors que là, concernant moi-même, si je ne n’agis pas, l’accompagnant (p.ex. le Psy) ne peut rien faire!

  2. Jamais commenté car vos textes sont tellement beaux que je n’ai rien à dire. Celui-ci comme les autres est très beaux, il est une magnifique description d’un vécu tristounet où il faut se pousser pour avancer. Merci

      1. Bonjour,
        Je suis un vieux lecteur de Cuk depuis 10 ans.
        Bonne journée

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