La danse, mon corps et moi.

C’était il y a quelques mois.

Consultant mon mur Facebook, je tombe sur une vidéo partagée par une amie. Rien de très attirant pour moi : il s’agit apparemment d’une vidéo de danse et je ne suis pas particulièrement client de cet art. Par ailleurs, l’image est sombre et morne, tirant sur le violet ; pas le genre d’image qui donne envie, ni par sa composition ni par ses couleurs.

Pourtant je clique sur la vidéo pour en lancer la lecture, et ce pour trois raisons :

  • L’amie qui la partage est une amie de la vraie vie, et ses partages m’intéressent toujours ;
  • Le titre, Une minute de danse par jour, me donne à penser que même si je la regarde en entier, je n’aurai pas trop perdu de temps ;
  • Et enfin, je suis tout de même intrigué par l’image que j’ai devant les yeux : une femme, à terre, partiellement masquée par le bouton de lecture de la vidéo, habillée de sombre et en baskets fluo, au pied d’un arbre, dans une posture qui m’intrigue.

Lorsque la vidéo démarre, je suis d’abord frappé par le son. Pas de musique, mais seulement l’ambiance sonore du lieu où est tournée la vidéo. Et comme il s’agit d’un parc urbain, les sons proviennent de la circulation dans les rues voisines. Pas de chants d’oiseaux, pas de ruisseau. Ah si : un oiseau… non, c’est un sifflet. Des gosses qui jouent, peut-être…

Bon.

Quant à la danse, alors là…

Je suis aux antipodes de ce que j’ai pu voir jusqu’ici comme vidéos de danse. Un mouvement que je ressens comme simple, pur, spontané, un corps qui n’est pas habillé pour paraître, un mouvement de vie qui coule et qui cherche à se mettre en résonance avec l’environnement végétal. Je n’y lis aucun récit, aucun message, aucune volonté d’adéquation à une bande-son, aucune démonstration de virtuosité ; juste la poésie du geste naturel.

Ces mouvements, ainsi que ceux des autres vidéos que je verrai par la suite, m’interpellent au-delà de ce à quoi je pouvais m’attendre.

Je t’esplique :

~ ~ ~

Je n’ai jamais aimé danser. Rares ont été les moments où, ado, j’ai osé me lancer sur une piste de danse. Je me sentais ridicule. Et beaucoup de celles et ceux que je voyais danser me semblaient ridicules, peu dans le rythme et le phrasé, maladroits. Les quelques-un·e·s qui « savaient danser » me faisait un peu envie, mais je n’osais pas me lancer, me sentant incompétent, craignant d’être ridicule (fut-ce à mes propres yeux).

Les rares fois où j’ai osé le faire restent pourtant dans mon souvenir comme des expériences plutôt agréables et je ne me rappelle pas avoir été le sujet de moqueries (fut-ce de moi-même). J’ai pourtant presque toujours su éviter les occasions de danser, fuyant les soirées et les sorties en boîte.

Les années et l’embonpoint venant, le rapport que j’ai avec mon corps ne s’est pas amélioré. Plus je me sentais gros, moins je me sentais « légitimé » à danser. Et le fait de voir en certaines occasions des personnes plus grosses que moi — voire carrément obèses — danser sans complexes ne m’a jamais permis de faire le pas. Pourtant je sais que c’est ces personnes-là qui ont raison, je sais que j’en ai (souvent) envie, mais quelque chose bloque.

Cela dit, la musique me touche énormément, y compris physiquement. Il m’arrive souvent, en écoutant quelque chose, de ressentir de manière plus ou moins forte des pulsions de mouvements, des vibrations, des envies de gestes spontanés que j’extériorise plus ou moins suivant l’environnement :

  • Assis en concert, je contrôle au mieux les mouvements spontanés de ma tête et de mes mains, histoire de ne pas agacer les gens à côté et derrière moi. (Sauf une fois, lors d’un mémorable concert de Deep Purple ; mon fils — qui m’offrait le concert pour mon anniversaire — et moi étions assis au balcon de l’Arena à Genève. Sur certains titres que je connaissais et aimais plus particulièrement, je me suis alors lâché complètement et ça m’a fait un bien fou !). Mais si je contrôle le visible, au dedans de moi ça se déchaîne dans un mélange de Michael Jackson, Fred Astaire, Maurice Béjard… et mon papa quand il faisait le singe !
  • Debout devant une scène de la fête de la musique, je me laisse aller à quelques mouvements rythmiques avec les pieds, les jambes, la tête, voire le torse, mais en conservant généralement mes mains… dans les poches !
  • Seul, le casque sur les oreilles en faisant le repas, la vaisselle ou le repassage, il m’arrive de tenter l’un ou l’autre geste, à condition toutefois, si la fenêtre est ouverte, qu’il n’y ait personne en face qui me regarde.

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Mais je reviens à ma vidéo, que je t’invite à regarder (durée : moins de 2 min.) :

(Je vois au moment de publier que WordPress ajoute un important espace blanc avant et après la vidéo. J’ignore pourquoi…)

Alors bon, oui, quand j’ai vu cette femme, en habits de tous les jours, faire des mouvements qui n’ont apparemment pas d’autre aspiration que d’exprimer la vie qui l’habite et qui la relie à son environnement, je l’envie.

Parce qu’esquisser quelques mouvements en écoutant de la musique d’accord, mais danser sans musique, je n’y avais jamais pensé. Pourtant, si la musique peut exister sans la danse, pourquoi la danse aurait-elle obligatoirement besoin de musique ? Hein ? Y a-t-il besoin d’un alibi, d’un support, pour danser ? Hein ?

Intrigué, je me suis intéressé à cette femme. Voici un extrait de son CV, disponible sur son site :

Nadia Vadori-Gauthier, artiste de performance, docteure en esthétique de l’Université Paris 8

Formée à la danse, aux arts de la scène et de l’image, spécialisée dans diverses pratiques du mouvement (danse, Body-Mind Centering®, mouvement authentique, yoga), Nadia Vadori-Gauthier fonde ses recherches artistiques et théoriques sur son expérience somatique. […]

Ce que je comprends là, c’est que je ne suis pas en face d’une artiste qui conceptualise, qui cherche l’élévation, mais bien à quelqu’une qui fonde son travail sur l’expérience du corps au quotidien, à partir de ce qu’il a de plus ordinaire.

Ses thèmes actuels de recherche, basés sur la mise en œuvre d’un continuum théorique-pratique, concernent différents seuils de perception et de représentation dans le processus de création, afin de produire un art. connecté à la vie, capable de tisser de nouveaux agencements collectifs, impliquant les personnes et les environnements, à partir de corporéités fluides et ouvertes.

Et là, après avoir un peu tout de même ramé des yeux et du cerveau pour comprendre le début du paragraphe, j’en reçois les derniers mots comme une sorte d’invitation à me libérer de ce que je ne comprends pas et à me laisser vivre et bouger comme ça vient. Fluidité et ouverture. C’est la première urgence. Après peut-être, si j’ai envie, je me préoccuperai de la structure de mon mouvement, de l’enchaînement des gestes, j’explorerai, j’approfondirai. Mais d’abord, fluidité et ouverture !

Je suis bien sûr allé voir d’autres danses, je me suis abonné à sa page, je me suis intéressé à son projet (cf. liens en fin d’article). Alors bon, ça n’est pas à chaque fois le grand kiff ; certaines danses me touchent plus que d’autres. Je ne regarde d’ailleurs pas tous les jours. Mais il y a quelque chose dans l’attitude générale, qui m’interpelle et ne me laisse pas tranquille, à l’image de cette citation qui s’affiche à la fin de toutes ses vidéos :

Citation de Nietzsche:  « Et que l'on estime perdue toute journée où l’on aura pas dansé au moins une fois. » (Ainsi parlait Zarathoustra)

Quand je la vois pratiquer son art sans prétention, sans pathos, souvent sans autre musique que l’ambiance sonore de l’endroit où elle se trouve, je me demande : pourquoi m’est-il si difficile de bouger ? Pourquoi, lorsque je m’y aventure, ai-je tellement peur qu’on me voie ? Pourquoi me sens-je ridicule, même si je suis seul ?

Et si c’était d’abord ÇA, la danse ? Laisser la vie couler, s’exprimer, me surprendre, me libérer de la pression des regards (à commencer par le mien !), m’affranchir de cette foutue idée que ça doit être beau, présentable, éventuellement séduisant…

~ ~ ~

Je serais très intéressé d’avoir, en commentaires, quelques partages d’expérience sur la danse, le corps, tout ça. Alors, Ô Toikimeli, je t’invite à témoigner ici — si tu le souhaites — de la manière dont tu vis ton corps, et plus particulièrement lorsqu’il bouge. Et si tu connais des personnes qui sont actives dans les domaines de la danse, de la relation au corps ou simplement intéressée par ces questions, n’hésite pas à leur partager le lien vers cet article.

Quant à moi, je vais continuer à consulter régulièrement les vidéos de Nadia Vadori-Gauthier, ainsi que certaines celles de que l’on peut voir dans le groupe Facebook qu’elle a créé et dans lequel elle nous invite à déposer nos propres minutes de danse… Oserai-je un jour y participer ?


J’ai voulu te partager un peu de mon propre vécu mais au moment de terminer je suis un peu frustré. Il y aurait énormément à dire sur le projet Une minute de danse par jour ! Alors voici tout de même quelques liens pour te permettre d’en découvrir la richesse :

  • Le site du projet
  • Une vidéo publiée par France TV sur Facebook, qui résume assez bien le projet.
  • Une joie secrète, film documentaire de Jérôme Cassou sur Une minute de danse par jour. Disponible en DVD et VOD
  • La page Facebook du groupe participatif

5 réflexions sur “La danse, mon corps et moi.”

  1. J’ai regardé cette petite vidéo, en pensant d’abord “Mouais, une artiste qui fait de l’art dit brut ou moderne qu’on est supposé admirer surtout quand on n’y comprend rien et qu’on n’ose pas l’avouer pour ne pas passer pour un ignare et un inculte, que n’importe qui saurait probablement faire tout aussi bien.”

    Puis j’ai regardé le sol, puis en l’air, puis bien sûr j’ai ressenti la présence du superbe arbre avec ses branches s’étirant loin du tronc, comme des bras, comme s’ils serpentaient toujours plus loin, mais dans l’immobilité.
    Puis il y avait aussi ses racines au sol, qui à leur tour semblaient s’étirer, s’entrecroiser, s’éloigner peu à peu, devenant de plus en plus fines.

    Puis… le déclic! Mais oui ! Mais bien sûr, comment n’avais-je pas vu plus tôt que la danseuse “dansait” les branches, qu’elle “dansait” aussi les racines avec tout son corps, ses bras, puis ses mains, puis ses doigts toujours plus fins, toujours plus loin, ondulant doucement.

    Je la sentais devenir les branches, devenir les racines qui passent les unes par-dessus les autres au sol, qui roulent les unes sur les autres, et les branches, s’étirant elles aussi les unes parmi les autres, toujours un peu plus loin, comme si elle vivait ou rêvait que, pour un moment, elle s’était elle-même incarnée en branches et racines, puis arbre, et lui donnait pour un court instant vie et mouvement.

    Puis l’arbre est redevenu juste un arbre, et la femme est redevenue juste cette femme. La fusion magique entre les deux partenaires de cette danse a doucement disparu, l’arbre est redevenu juste un arbre, la danseuse est redevenue juste une femme dans un parc.

    Merci Dom !

    1. WAHOU!

      Zallag, tu as exprimé exactement ce que j’ai ressenti, y compris la première impression. Merci pour ton partage!

      Je serais curieux de savoir si tu fais le même genre de chemin en visionnant d’autres vidéos, comme par exemple la danse 1537, réalisée dans le dortoir d’un Etablissement Public de Santé Mentale désaffecté. C’est une de celle qui m’a le plus touché.

      1. Je suis allé voir aussi cette vidéo, je trouve plus complexes à saisir les émotions qui s’en dégagent, mais la danseuse exprime beaucoup de tensions chaque fois qu’elle se trouve face aux barreaux des fenêtres, tout comme quand elle est au sol, toujours avec des barreaux qui sont cette fois les ombres des premiers. Elle ne retrouve un peu de calme et de naturel que quand elle découvre le livre.
        Son site est intéressant comme tout, et j’irai de temps en temps le parcourir à la recherche de nouvelles danses.
        Une belle découverte, très originale !

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