Baiju Bhatt, le violon entre deux

Ô Toikimeli, j’ai eu l’occasion de te parler d’Amine et Hamza et de leur Band Beyond Borders, à la suite de deux concerts, l’un à Cully et l’autre à Lausanne. J’y avais mentionné la présence, entre autres, du violoniste Baiju Bhatt. Ce musicien-là, cela fait longtemps que j’ai envie de t’en causer. Parce que s’il est sideman sur le projet d’Amin et Hamza, il a aussi ses propres projets qu’il conduit avec maestria, en particulier le groupe Red Sun dont il va être principalement question aujourd’hui.

Sur la RTS, l’excellente émission de radio Magnétique lui a consacré un sujet ce mardi 3 septembre. En l’écoutant, je me suis dit que c’était le moment de faire une place à Baiju sur les pages de ce blog.

Voici la première minute de l’émission, qui motive le titre de ce billet :

(extrait de Magnétique, 03.09.2019, RTS – Radio Télévision Suisse)

J’ai eu plusieurs fois l’occasion de voir Baiju Bhatt en concert, que ce soit sur ses propres projets ou dans ceux d’autres musiciens, par exemple Amine et Hamza et leur Band Beyond Borders. Une chose m’a très vite frappé, c’est le plaisir évident que ce violoniste prend lorsqu’il est sur scène, autant comme leader que comme sideman. Lorsqu’il n’est pas centré sur son propre jeu, il est en communion intense avec ceux qui partagent la scène avec lui. J’aime les instrumentistes qui manifestent leur joie de jouer, et Baiju est de ceux-là.

 

Ce musicien est, dans le champ encore modeste de ma culture jazzistique, une des références en matière de musique… comment dire… transversale. D’aucuns parlent de fusion, mais je préfère cette idée de transversalité. On ne nie pas les frontières, on les traverse, on se tient dessus. C’est parce qu’il y a frontière qu’il y a altérité, et c’est parce qu’il y a altérité qu’il peut y avoir rencontre, mixité, métissage, enrichissement mutuel, tout ça. Et nombre des musiciens qui jouent avec lui incarnent également cette transversalité.

Pour autant, il ne s’agit pas de faire de la soupe insipide en y mélangeant des ingrédients exotiques volés çà et là. La musique de Baiju Bhatt est pour moi un exemple de cette transversalité exigeante, qui respecte pleinement les identités diverses dont elle se nourrit et auxquelles elle offre de nouveaux espaces.

Cela commence par le respect du son de son instrument. Dans l’émission, à partir de 8:25, il y a un passage très intéressant dans lequel Baiju parle de la manière dont il travaille ce son. En effet, si son violon est amplifié, il s’agit bien d’un violon « normal », non d’un violon électrique. Et l’amplification nécessaire n’est pas une raison pour le dénaturer, ce son. Baiju a beaucoup travaillé cette question et j’apprécie particulièrement de retrouver dans son jeu le son du violon tel que je l’ai connu enfant, lorsque mon père en jouait. Cependant, cela ne l’empêche pas d’explorer de nouvelles sonorités, comme par exemple cette imitation du steel drum :

(extrait de Magnétique, 03.09.2019, RTS – Radio Télévision Suisse)

Cette émission, qui dure en tout 25 minutes, est remarquablement bien montée. Je mets le lien en pied de page et t’invite à prendre le temps de l’écouter.

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MAIS ATTENDS ! Tu ne vas pas t’en tirer comme ça !

Parce que Baiju, avec ses musiciens de Red Sun, a sorti en 2018 un CD dont voici la pochette :

(liens iTunes, Qobuz, Deezer, Spotify, SoundCloud)

— Mon Dieu !
— Oui, moi aussi j’ai les yeux qui ont piqué en la découvrant ! Mais je connais le bonhomme et je me marre. Et comme j’adore le contenu, j’ai pleinement apprivoisé le contenant.

Ce CD, dont certains extraits figurent dans l’émission Magnétique, est une des perles de ma discothèque. Les musiciens qui composent ce groupe sont tous des pointures ; et quand j’écris pointure, je ne parle pas seulement de virtuosité, mais aussi et surtout de musicalité. J’aime vraiment énormément ce que chacun fait.

Baiju Bhatt – violon, compositions et arrangements
Valentin Conus – saxophones
Cyril Regamey – batterie
Blaise Hommage – basse électrique
David Tixier et Mark Priore (le titulaire actuel)– piano

De plus, il y a dans cet album une belle brochette d’invités qui interviennent dans l’une ou l’autre piste :

  • le sitariste Krishna Mohan Bhatt, le père de Baiju. Il en parle dans l’émission Magnétique ;
  • le flutiste Jay Gandhi, à la flute bansuri ;
  • l’oudiste Amine M’raihi, du duo Amine et Hamza cité plus haut ;
  • le percussionniste Prabhu Edouard, également membre du Band Beyond Borders d’Amine et Hamza ;
  • et last but not least, le guitariste Nguyên Lê qui a fait la tournée de vernissage du CD et que j’ai vu à Genève.

Nguyên Lê : autre exemple de transversalité! Né à Paris de parents vietnamiens, il a développé un jeu et un son de guitare qui évoque un instrument monocorde traditionnel vietnamien, le Dan Bau. Instrument qu’il a d’ailleurs été étudier dans son pays d’origine. Mais la « transversalité » du bonhomme ne s’exprime pas qu’entre le Vietnam et la France (voir sa bio) !

Étant également ingénieur du son et producteur, Nguyên Lê a réalisé le mixage du CD, qui présente une images sonore très riche et vaste. Peut-être un poil trop de basses à mon goût, mais je sais que j’y suis particulièrement sensible. Durant ces séances de mixage, Baiju dit en avoir appris autant si ce n’est plus que dans une année d’études professionnelles.

Et bien, Nguyên Lê sera également présent lors de deux des trois concerts que Baiju Bhatt et Red Sun donneront dans les mois qui viennent :

  • Samedi 19 octobre 2019, au Literatur Cafe de Bienne (sans Nguyên Lê) ;
  • Samedi 2 novembre 2019, dans le cadre du festival JazzONZE+ à Lausanne (avec Nguyên Lê). Le prix peut paraître élevé, mais c’est pour un double concert, la deuxième partie étant assurée par la chanteuse coréenne Youn Sun Nah, que j’ai vue — et hautement appréciée — en 2018 à Cully ;
  • Samedi 25 janvier 2020 à La Spirale, à Fribourg (avec Nguyên Lê), un petit club qui a un programme très riche et passionnant.

Je ne saurais donc trop te conseiller d’assister à l’un de ces concerts, si cette musique te parle ne fût-ce qu’un peu. Comme je l’ai vu imprimé sur le t-shirt d’un festivalier à Cully :

« La meilleure façon d’écouter le jazz…
c’est d’aller le voir »
 !

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Autre chose : si tu aimes le jazz manouche (ou si, comme moi avant, tu ne l’aimes pas trop, mais que tu as envie de lui donner sa chance), Baiju animera une Gypsy Jazz Session au Café Littéraire de Vevey le jeudi 19 septembre. À l’heure où j’écris, le site dudit Café ne mentionne pas encore l’événement, mais il est annoncé sur Facebook. Concert à 18h, puis jam session à 20h (c’est-à-dire un deuxième concert avec la participation spontanée d’autres musicien·nes présent·es). J’y serai. Tu viens ?

Puisque je sais qu’il y a des violonistes dans mon lectorat, je précise encore que Baiju est partie prenante du formidable projet « Les Ministrings ». (Je te mets le lien ci-dessous, pour t’éviter comme moi de faire une recherche et de te retrouver avec des propositions de lingerie !)

Et enfin,  je cite le dernier paragraphe de la dernière newsletter de Baiju:

Il est déjà possible de s’inscrire à la prochaine édition du Creative Strings Workshop – Europe, trois jours de formation intensive autour de l’improvisation pour instrumentistes à cordes (14/15/16 février 2020), que j’ai l’honneur de présenter aux côtés du violoniste et pédagogue américain Christian Howes, et pour la première fois, du génie du violoncelle jazz Stephan Braun, de Berlin. Si vous êtes un/une instrumentiste à corde, et que vous souhaitez vous mettre durablement à l’improvisation et au jazz, cela pourrait bien changer votre vie. 🙂 En parallèle, trois soirs de festival présentant les cordes dans des cadres originaux et décapants. Et, bien sûr, improvisés….
En partenariat avec la Compagnie Albertine, l’École de Musique de Lausanne, l’EJMA, et le Duke’s.

Bref, tu l’auras compris, Baiju Bhatt est un musicien à suivre !

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Allez ! Quelques liens et je te laisse :

 

2 réflexions sur “Baiju Bhatt, le violon entre deux”

  1. Hello Dom’!

    J’ai déjà hier écouté le disque de ce violoniste, tu penses bien que ça pouvait m’intéresser.

    Alors…

    Bon.

    D’abord dire que ce genre de jazz, je l’admire, je trouve ça hyper bien fait, vachement précis, arrangé magnifiquement.

    Mais dire aussi que ce genre de jazz me stresse.

    C’est fou, au bout d’une demi-heure, je deviens un peu speed, je ne peux pas travailler par exemple, sur mon ordinateur.

    D’autre part, j’adore le violon puisque c’est mon instrument.

    Mais j’ai beau essayer, encore et toujours, je n’aime pas le violon jazz.

    Alors oui, ce musicien est haut dessus du lot, mais je n’arrive pas à me le mettre dans mes favoris, et pourtant, j’aimerais bien, je te le promets.

    Mais merci de nous faire découvrir ton univers, c’est toujours bon d’essayer d’aller plus loin.

    1. Hello François!

      Désolé, je ne sais pas ce qui s’est passé, je n’ai pas vu arriver ton commentaire…

      Oui, je pensais bien que tu allais sauter sur Qobuz pour écouter ça ! Et oui aussi, je m’imaginais que, tout intéressé et ouvert que tu sois, ce ne serait pas une musique qui te parle. J’ai même repensé à une expression qui a été utilisée (par elle ou toi, je ne sais plus), lors de notre souper chez Mme Poppins : « ça me dresse les poils ». Alors quand tu parles de stress, je ne suis pas surpris !

      J’ai toutefois envie de préciser une chose. Tu écris :

      « C’est fou, au bout d’une demi-heure, je deviens un peu speed, je ne peux pas travailler par exemple, sur mon ordinateur. »

      J’ai établi de manière assez claire que, lorsque je veux découvrir un nouveau cd, jamais je ne l’écoute en travaillant à l’ordi. Tout au plus en faisant la vaisselle ou le repassage. Encore que cela dépende du style de musique. Mais celle de Red Sun, typiquement, je n’ai pas pu l’écouter en écrivant avant de l’avoir bien apprivoisée. Et il m’est arrivé plusieurs fois, en jouant une nouveauté sur Qobuz alors que j’étais à l’ordi, de l’interrompre très rapidement parce que j’avais l’impression que les conditions nécessaires à son apprivoisement n’étaient pas réunies.

      D’ailleurs, dans l’histoire de mon éveil au jazz contemporain, les ouvertures les plus décisives se sont faites en concert, jamais avec un CD.

      Voilà. Ceci dit, il reste bien entendu que toutes les musiques ne peuvent pas parler à tout le monde et je n’ai aucun problème à ce que tu n’apprécies pas les mêmes choses que moi ! Je trouverais d’ailleurs de mon côté certainement un bon nombre de tes « favoris » qui me laisseraient « froid », voire « stressé » !

      Merci en tout cas d’avoir pris la peine d’écouter. Et voici deux occasions d’apprécier peut-être un peu plus le bonhomme, dans un genre plus accessible (manouche) : Gypsy Galaxy et Cat-A-Strophe !

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