Le Cully Jazz à Dom – Jour 2

J’arrive, comme la veille, 10-15’ avant le début du concert. Il me semblait avoir remarqué que, dans le festival off, il est souvent moins impératif de venir à l’avance. GRAVE ERREUR! La salle du Club est presque pleine. Faut dire que la musicienne présentée ce soir est connue. Sauf de moi. D’où mon erreur. Plus une chaise de libre. Plein de gens debout.

Je me deboute donc, juste derrière les chaises du fond, de manière à avoir une vue imprenable sur la scène, fut-ce de loin. Et le concert commence.

Et à partir de là, grosse divergence de point de vue entre mes pieds et mes genoux d’une part, et mes oreilles d’autre part. Plus ceux-là revendiquent leur droit au repos en exigeant une évacuation immédiate, plus celles-ci cherchent à temporiser. Et, plus encore que mes oreilles, c’est mon être entier qui vibre, se dilate et en redemande. Et à l’instant même où les mécontents sont sur le point d’obtenir gain de cause, après environ une heure de musique, des chaises se libèrent devant moi et je peux étouffer la révolte en offrant à mes pieds et genoux la relève de mes fesses, lesquelles ont une endurance de loin supérieure en matière de sédentarité.

Et la musique? Qu’en dire? Difficile de mettre des mots. Des noms d’abord: Anne Paceo, batteuse et compositrice française, nous présente son dernier projet, Circles. C’est une musique pleine, parfois silencieuse et intérieure, parfois forte et majestueuse. Force. C’est le mot qui me vient lorsque je cherche à qualifier son jeu, lorsque je me mets à l’écoute intérieure de la manière dont elle fait vibrer ses fûts. Une force vivante et joyeuse.

Oui, parce que la première chose qui me frappe, c’est le sourire qui illumine souvent le visage de la batteuse. Je suis loin de la scène, pourtant je le vois, ce sourire; et moi, les gens qui font de la musique en souriant, j’aime. Ça contribue à me faire du bien. C’est comme si cela ajoutait de l’humain à leur musique.

Ses musicienNEs sont remarquables: il y a Leila Martial, qui chante et bientraite sa voix avec des effets toujours très pertinents et jamais tape-à-l’œil (“tape-à-l’oreille”, ça existe?). Sur son site, je découvre de quoi passer au moins un mois à découvrir un éventail de démarches, de musiciens, de projets d’une richesse incroyable. La présence scénique de cette femme est passionnante. Elle produit à un certain moment un chapelet discontiunu de petites notes brèves qui me rappellent certains passages de Music for 18 Musicians (de Steve Reich); un travail vocal dont l’apparente sobriété n’a d’égal que l’extrême difficulté technique. Remarquable et magnifique.

Ensuite, physiquement plus discret parce qu’assis et en retrait, Tony Paeleman aux claviers: un Rhodes dont il tire des sons qui me font du bien partout et tisse des lignes mélodiques et des accords qui apportent à l’ensemble un supplément de relief passionnant. Sur ce Rhodes est posé un plus petit clavier, sur lequel il déploie des lignes de basse qui, bien que jouées de la main gauche, sont très adroites.

— Oh là là…

— Oui, je sais, mais je me suis couché très tard…

Enfin, tout à gauche, un grand barbu qui maîtrise son sax soprano (peut-être mon sax préféré…), j’ai nommé Christophe Panzani. J’aime son son, ses notes, ses phrases, ses volumes, sa présence. Et il forme parfois avec Leila Martial un duo mélodique d’une harmonie telle que je me demande si c’est lui qui arrive à produire un son de voix humaine ou si c’est la chanteuse qui sait imiter celui du sax. Et même, dans un ou deux titres, Anne Paceo chante également et ce trio sonore est purement jouissif. J’admire ce saxophoniste qui sait aussi bien briller en solo que se fondre dans l’ensemble de manière si… désintéressée (pour son ego). Panzani dispose aussi d’un petit clavier et d’un certain nombre d’effets du plus bel effet.

— Pff…

— Ouais, bon, ben ça va!

 

Oui, je sais, la photo est pas terrible.
Mais depuis le fond, avec un iPhone SE, j’ai fait ce que j’ai pu.
Et j’ai bricolé un peu avec Picasa pour tenter de rendre la chose acceptable.

Malgré l’immense plaisir que j’ai à écouter ce groupe, je m’exfiltre sitôt les premiers saluts, sans attendre un éventuel bis. Je tiens à me garantir une place assise au concert suivant. Mes pieds et genoux m’en sont reconnaissants. Et ça paie: je peux m’installer au premier rang du Sweet Basile pour découvrir Paralog.

On nous présente une première mondiale: un trio sans troisième larron. Le batteur est en effet absent (je n’ai pas retenu la raison). Alors bon. Je suis un peu frustré parce que c’est bien un trio que je suis venu écouter. Comme je l’écrivais hier, j’aime de plus en plus cette formation. Mais hein… on va pas chipoter!

Ben tu sais quoi? On a eu raison de ne pas chipoter. Parce que, durant ce concert, je me pose une question: quand il est là, le batteur, il se met où? Et je ne parle pas de localisation physique, mais de l’espace sonore. Alors bien sûr, j’imagine bien que les deux qui sont là occupent ledit espace sonore en tenant compte de l’absence de leur partenaire, mais je peux dire qu’à aucun moment cette absence ne crée en moi un sentiment de manque. Et là, je voudrais éviter tout malentendu: je ne suggère pas que le batteur serait de trop. Non. Et même, j’espère avoir bientôt l’occasion de les voir au complet. Parce qu’avec ce qu’avec ce que je vois et entends ce soir, je pense que la présence du troisième compère doit augmenter encore la profondeur des reliefs, la palette des couleurs sonores, et la vivacité des complicités. Mais c’est vrai que ce soir, le pianiste et le contrebassiste parviennent à nous présenter une prestation en duo qui, personnellement, m’a absolument comblé.

Au piano, Gabriel Zufferey. Presque vautré sur sa chaise, les jambes parfois étendues, parfois repliées, parfois même croisées. Et à l’exception d’un seul titre, je ne l’ai jamais vu utiliser les pédales de son piano. Cela donne un jeu très particulier que j’aurais bien du mal à qualifier, débarrassé des habituelles résonnances dont j’ai l’habitude. Mais cette apparente nonchalance tranche avec la dextérité dont le pianiste fait preuve. Son clavier, il en fait ce qu’il veut. Et il veut beaucoup!

Au début, j’ai eu l’impression d’être devant le vol apparemment désordonné des abeilles devant la ruche. Ça part dans tous les sens. Et puis non, ça sait où ça va, ça maîtrise parfaitement le sujet. D’ailleurs, les abeilles, avec leur vol qui nous semble presque aléatoire, se communiquent des informations très précises sur la localisation des stocks de pollens que la nature leur offre. Là, pareil. Peu à peu, j’ai compris, j’ai appris à entendre l’itinéraire musical qui se cache derrière cette apparente anarchie. Et je me sus régalé. Ce d’autant que, entre les morceaux, se glisse dans ses présentations une sorte d’humour à froid que j’ai adoré!

À la contrebasse, Christoph Utzinger lui donne la réplique de manière parfaitement inventive. Visuellement, son instrument ne m’a pas séduit. Mais le son, pardon Gaston! Quelle plénitude, quelle dynamique! Il sait s’y prendre, le gars. Et un truc m’a frappé: souvent, me semble-t-il, les contrebassistes, lorsqu’ils font un solo, se penchent sur leur instrument et jouent plutôt sur les notes aigües; Utzinger, lui, se promène sur tout le manche, du haut en bas et vice-versa, nous permettant de profiter pleinement de toute la tessiture de son instrument. Là aussi, je me suis régalé.

Au début du troisième set, Louis Billette qui passait par là avec son sax soprano est venu les rejoindre pour un titre. Et là, encore, le régal, que dis-je: les régaux!

 

D’ailleurs, je n’étais pas le seul à me régaler. Ma voisine de chaise, une certaine Annalisa, a eu également beaucoup de plaisir. Nous avons sympathisé, échangé nos impressions, fait connaissance pendant les pauses, échangé nos Facebook, c’était très agréable. C’est la première fois que, lors d’un concert, je fais plus qu’échanger accidentellement deux ou trois mots avec la personne assise à côté de moi. Nous nous sommes d’ailleurs donné presque rendez-vous pour le concert de…. mais je t’en parlerai en temps voulu.

~ ~ ~

Bon. J’espère que tu ne m’en voudras pas d’avoir été si long. Si? Un peu quand même? Navré. Pourtant, je te dis pas le nombre de trucs que j’aurais voulu encore te raconter, tant la soirée fut riche. Mais je me rends compte que tu n’as pas que ça à faire, alors je tâcherai de faire plus concis la prochaine fois.

À demain donc!

7 réflexions sur “Le Cully Jazz à Dom – Jour 2”

  1. Oui Dom’ Anne Paceo C’est agréable et surprenant. J’avais écouté deux de ses albums sur Qobuz. Et comme j’hésitais à me déplacer samedi soir aussi pour Paralog – dont la présentation sur le site du cullyjazzfestival est accueillante .. Ben j’ai dû louper queq’chose comme on dit.

    Bon concert.

  2. Pour quelqu’un qui, comme moi, n’y connaît RIEN, ton billet, Dominique, me donne grande envie d’y aller voir ou plutôt…entendre! Merci pour partager ton enthousiasme.

      1. Le cœur veut bien m’en dire, mais je vais tirer l’archet tout le week-end en vue d’un prochain concert et Gustav (Mahler) est exigent!!! C’est pas Gypsy, mais c’est très beau aussi.
        Merci Domi et beaucoup de plaisir.

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