Trop

Je suis tombé par hasard et successivement sur deux articles qui n’ont a priori aucun rapport, quoique… En tout cas, ils ont créé dans ma tête une étrange perspective. Si tu veux bien, je t’en parle d’abord et t’indiquerai les références en fin de billet.

Le premier article fait mention d’une étude américaine. Bon. Je ne suis pas certain que le terme “étude” soit pleinement justifié. Parlons plutôt d’une expérience. Car il s’agit d’un test qui a été fait avec un panel de trente-six enfants. C’est pas beaucoup. Mais trêve de pinaillage:

Ces trente-six enfants ont été installés dans une pièce qui contenait seize jouets. On les a regardé jouer durant une demi-heure. Puis on les a mis dans une autre pièce qui n’en contenait que quatre et on a regardé.

Le résultat de cette observation est que les enfants se sont mieux amusés dans cette seconde pièce. Comme il y avait moins de jouets, les marmots trouvaient à chacun d’eux plusieurs usages et les utilisaient plus longtemps. Ils employaient davantage leur imagination, leur créativité; par ailleurs, ils développaient leurs facultés relationnelles en partageant, en collaborant, en négociant…

La conclusion, qui n’étonnera probablement pas grand monde, est que la qualité de vie (ici de jeux) n’est pas proportionnelle à la quantité de possessions (ici de jouets).

Je me suis senti personnellement interpellé. Parce que des jouets, j’en ai plein. Enfin, plein… Je pense plus particulièrement à deux choses. C’est pas beaucoup, deux, mais s’agissant de mon ordinateur et de mon téléphone, cela représente en fait une quantité de choses virtuelles, plus ou moins utiles, plus ou moins intéressantes, mais très nombreuses. “Innombreuses”, comme disait le clown Sol.

C’est avec ces idées en tête que je suis alors tombé sur le second article, et dans ma tête la connexion entre les deux s’est faite immédiatement.

Dans ce deuxième article, il était question de Tristan Harris, un ancien de chez Google, chez qui il occupait le poste de “philosophe produit”.

Préoccupé par un certain nombre d’idées, il décida d’en faire part à quelques-uns de ses collègues. Il leur adressa un document intitulé Appel pour minimiser les sources de distraction et respecter l’attention de nos utilisateurs. Bien que ce document soit lu par de nombreuses personnes — dont le boss — et que celles-ci étaient “globalement d’accord” avec ses idées, rien ne changea. La machine en place est trop lourde, trop rentable. Harris finit par quitter Google pour ne pas continuer à servir un système avec lequel il n’était plus en phase.

Il y a dans cet article une citation de Harris qui m’a frappé: «Jamais dans l’histoire une poignée d’ingénieurs (principalement des hommes blancs, âgés de 25 à 35 ans, vivant à San Francisco), travaillant pour trois entreprises (Google, Apple, Facebook) ont eu autant d’impact sur plus de deux milliards de personnes.» Paf.

En mettant ces deux articles en perspective, il m’est apparu que mes “jouets”, non contents de disperser mon attention, la monopolisent, la cannibalisent. Et qu’en me laissant faire je deviens le rouage consentant d’une machine qui me dépasse et me détruit à petit feu pour le profit de quelques-uns.

Trop de jouets, trop de gadgets, trop de sollicitations, trop de sujets d’attention, trop de contacts (Facebook, Twitter, Instagram, etc.), trop de trop…

JOYEUX NOËL!!!


Sources:

1er article:
Selon une étude, les enfants les plus heureux sont ceux qui ont le moins de jouets, par Hilaire Picault, sur detour.canal.fr (lien)

2e article:
Tristan Harris : votre attention, s’il vous plaît, par Romain Duchesne, sur liberation.fr. (lien)

J’ai visionné également la conférence Ted de Tristan Harris, sur le sujet (eng. s-t fr.). Il y a un petit côté théorie du complot qui m’agace un peu. Mais dans la mesure où le bonhomme est précisément un ancien rouage du système qu’il dénonce, c’est intéressant. En tout cas moi, j’ai apprécié.

 

2 réflexions sur “Trop”

  1. Oui, mais bon…
    D’un autre côté, ces objets t’ouvrent sur la culture et le monde.
    De l’autre, tu n’as qu’à ne jamais suivre Facebook et Twitter.
    C’est ce que je fais, et je m’en porte très bien.
    Le problème donc, c’est ce que l’on fait de nos jouets.
    Pour moi, le jouet qui me tue, c’est le mail, par qui je suis sans cesse sollicité.
    Au point d’avoir le sentiment d’étouffer.

    Bonne fin d’année! Et tout de bon pour la suivante.

    1. François, tu as raison. Et c’est vrai que le fait qu’il y ait beaucoup de jouets dans la salle de jeux n’oblige en rien les enfants à les utiliser tous. De même, la possession d’un iPhone (par exemple) ne m’oblige aucunement à en faire un usage compulsif.

      Il reste que si le ballon, dans la salle de jeux, n’est qu’un ballon, l’iPhone quant à lui n’est pas aussi « passif » que le ballon. Et il y a dans dans l’objet lui même des fonctions qui tendent à rendre son usage addictif, et derrière ces fonctions une volonté de la part des certaines personnes à entretenir et encourager cette addiction.

      Aussi mon billet n’est-il pas une dénonciation de l’objet iPhone (par exemple) en lui-même, mais bien une injonction que je m’adresse à moi-même d’abord — tout en la partageant, à rester vigilant et à ne pas me laisser prendre au piège.

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