Nadia vanille-pistache

J’irai manger une glace vanille-pistache,
au bord du lac, devant le jet d’eau;
avec, au fond de mon cœur,
un profond sourire:
tel est mon héritage.

Parce que Nadia, c’était ça:
un sourire au fond duquel vibrait un cœur ensoleillé.

Photo de Marion Dorner, fille de Nadia.

Elle aimait les humains
et le leur faisait savoir.

On ne se connaissait pas très bien,
on ne se croisait pas souvent.

(J’ignorais encore tout de son goût pour les glaces vanille-pistache.)

Mais lors de ces (trop rares) rencontres,
à chaque fois,
c’étaient des bras qui s’ouvraient,
des sourires qui brillaient,
des cœurs qui résonnaient en harmonie.

On se connaissait peu,
mais on s’appréciait beaucoup.

Faut dire que l’on se voyait à chaque visite de Julio,
notre ami violoniste commun qui venait du Mexique pour retrouver ses amis suisses.
Et si Julio a un talent fou en matière musicale et pédagogique,
il en a aussi en matière d’amitié,
de chaleur humaine,
de fidélité.

Julio, à qui mon père avait prêté,
puis donné,
le violon que sa santé l’empêchait de faire chanter.

Julio qui avait, par amitié, traversé l’Atlantique
lorsque papa est décédé,
pour jouer, sur son violon,
deux pages de Bach durant la cérémonie de sépulture.

Nadia, également violoniste
— elle avait eu l’occasion de jouer avec papa —
hébergeait Julio lors de ses venues en Suisse.

À chaque fois, elle nous en informait.
«Julio va venir!»

Recevoir un téléphone de Nadia,
c’était la promesse de chaleureuses retrouvailles avec Julio,
ainsi que, généralement, celle d’un concert convivial
à l’issue duquel nous aurions la chance de voir Nadia.

Et à chaque fois, on se disait avec Bernadette
que nous pourrions inviter Nadia à l’occasion,
comme ça,
pour le plaisir de mieux la connaître
en dehors d’une visite de Julio.

Pris par la vie, nous ne l’avons jamais fait.

Je m’en veux un peu.

D’autant plus que,
sur ce blog,
Nadia était une des plus fidèles commentatrices,
sans doute la doyenne.

C’était toujours un plaisir
de voir son nom apparaître dans les commentaires.
Ses interventions, invariablement chaleureuses,
Faisait remonter à mon esprit
l’image lumineuse de son sourire
et la blancheur de sa chevelure,
libre comme celle d’une jeune fille.

Jeune fille qu’elle était, d’ailleurs:
à passé quatre-vingts ans,
elle avait une solide expérience de la jeunesse!

~ ~ ~

Sous mon précédent billet (“Salut au Jet d’eau”),
elle a partagé le souvenir qu’elle avait
des promenades qu’elle faisait, enfant, avec ses parents et ses sœurs,
au bord du lac,
et des glaces — vanille pistache, toujours —
qu’elle y savourait avec délice.

Comme d’habitude, son intervention m’a fait plaisir;
j’y ai répondu,
nous avons eu un court échange.

Une semaine plus tard,
le téléphone sonne.
C’est Julio.
Il dit nous appeler pour une mauvaise nouvelle.

«Nadia est morte ce lundi»

Je crois n’avoir jamais été autant touché
par le décès d’une personne que je voyais si rarement,
que je connaissais si peu.

Certes, je n’ai pas pleuré,
je ne me suis pas effondré.

Mais j’ai ressenti une vraie blessure.

Le monde ne serait plus jamais le même;
il manquerait un sourire,
une chaleur,
une joie.

Et j’étais triste de n’avoir jamais réalisé cette envie
de mieux connaître Nadia en l’invitant à partager un repas.

Ce ne sera plus possible, plus jamais.

Je m’en veux, vraiment.

~ ~ ~

Lors de la très belle cérémonie
— laïque et musicale, selon son dernier souhait —
organisée en guise d‘adieu,
Julio a naturellement sorti son violon.

Il a pris place dans l’orchestre dont Nadia était premier violon,
mais a également interprété avec beaucoup d’émotion,
en duo avec une pianiste,
Adios Nonino, d’Astor Piazzola.

En présentant cette œuvre, il a dit:

«Ce titre signifie “Adieu, papa.
Je voudrais aujourd’hui l’appeler “À toujours, Nadia!”»

C’est exactement ça.

À toujours, Nadia!

~ ~ ~

Il ne me reste qu’une chose
en guise d’héritage:

Aller au bord du lac,
vers le jet d’eau,
et savourer une glace,
vanille-pistache, bien sûr,
en pensant à cette jeune octogénaire
dont le sourire et la joyeuse énergie
manqueront à beaucoup.

Nadia sur un chemin forestier, souriant.
Photo de Tim Vernet, ami et collègue musicien de Nadia

1 réflexion sur “Nadia vanille-pistache”

  1. humbert-Schaffner

    Cher Dominique, chère Bernadette,
    oui ton texte est magnifique, émouvant et digne de cette belle personne Nadia!
    et oui nous ne savons ni le jour,ni l’heure..mais c’est une déchirure..pour toi,pour vous 2 mais aussi
    un lien intemporel entre toi, vous,Natia, ton père et vos vies. merci pour ce partage
    cet après-midi nous avons aussi une cérémonie pour un ami Robert (91ans) et j’y lirai quelques poèmes notemment de Francine Carillo.
    cordiales pensées en amitiés Monique et Philippe

Répondre à humbert-SchaffnerAnnuler la réponse.

Retour en haut