Le Cervin, les Indiens, et mes couilles.

Ce 14 juillet, on a célébré le 150e anniversaire de la première ascension du Cervin.

À cette occasion, une expression a souvent été utilisée, une expression familière, que j’avais déjà lue des dizaines, des centaines de fois, une expression reflétant quelque chose qui me déplaît profondément dans notre civilisation.

Il est en effet courant, en pareille circonstance, de parler de conquête, de victoire.

Selon certains, il y a cent cinquante ans, le Cervin aurait donc été conquis, vaincu.

Allons bon.

Ça va même plus loin. J’ai même lu “Les 150 ans du Cervin”. Tu te rends compte? Peut-être est-ce un raccourci courant dans les milieux montagnards, mais bon. Ça doit bien le faire marrer, l’ancêtre, de nous voir sous-entendre ainsi qu’il n’existait pas avant qu’on arrive à lui grimper dessus jusqu’en haut.

Personnellement, lorsque je lis ce genre de chose, j’ai une impression très précise et très désagréable: celle d’être en présence d’une des pires erreurs de notre civilisation. Cet esprit de conquérant, de vainqueur, me débecte.

Parce que les seules choses que j’ai envie de vaincre, c’est mon attachement à ce qui me limite, mes errements, mes résistances au changement, mes pesanteurs, mes appétits pour ce qui m’empêche de vivre vraiment.
Ce que j’ai envie de conquérir?
Moi-même.
Et y a du boulot.

Si un jour je devais mettre le pied à un endroit où personne ne l’aurait mis avant moi, j’espère bien que jamais je ne le ferai avec une mentalité de vainqueur, de conquérant. Tout au plus voudrais-je découvrir avec respect, m’inviter plutôt que m’imposer, et être capable, éventuellement, de me retirer si je dérange.

~ ~ ~

Et puis, si y avait que le Cervin et ses camarades. Mais nous avons fait preuve du même esprit de supériorité en «conquérant» des contrées entières et leurs habitants.

Le Cervin, lui, s’en remettra. Il risque même de rigoler doucement lorsque nous aurons disparu et qu’il sera encore là. Je ne sais plus qui disait (en substance:) «Sauver la planète? La belle affaire! C’est de nous qu’il s’agit! La planète, elle s’en tirera toujours. Avec ou sans nous, mais elle s’en tirera!»

Je ne peux m’empêcher de penser aux millions de victimes de cet état d’esprit, les civilisations que nous, les Occidentaux, avons massacrées au nom de notre soi-disant supériorité. Cette supériorité avec laquelle nous avons traité — et traitons encore — les pays que nous disions «sous-développés» (c’est pas si vieux, je m’en souviens), que nous avons ensuite appelés «en voie de développement», puis «émergents».

Bientôt peut-être, devra-t-on dire «en situation d’émergence»?

~ ~ ~

Je ne suis pas particulièrement fier d’appartenir à cette civilisation-là. Parce que oui, elle a produit de grandes choses; mais elle a aussi été — et elle est encore — une civilisation de destruction massive. (Oui, je sais, c’est pas la seule; je balaie devant ma porte.)

J’aurais envie de regarder le Cervin dans les yeux,
de regarder aussi les peuples qui habitaient avec tant de respect les terres au-delà des océans,
et de leur demander pardon.

J’aurais envie de rembobiner l’histoire,
de dire à Dieu qu’il s’y est très mal pris,
envie de crier «c’est pas moi, j’y suis pour rien, j’étais pas là!»,
envie de…

En attendant de trouver mieux,
de trouver plus efficace,
de trouver plus engageant et
— surtout —
d’avoir les couilles de m’y engager,
j’ai eu envie d’écrire ce billet.

Voilà.

4 réflexions sur “Le Cervin, les Indiens, et mes couilles.”

  1. Je n’ai pas les attributs que tu possèdes mais suis souvent aussi “écoeurée” et en colère que toi!
    A part ça, j’étais en Valais cet été et,voir le Cervin provoque toujours une émotion particulière.

    1. Dans le film “Mondialito”, l’éroïne dis souvent “tu me casse les c…” Ça m’avait surpris mais au final pourquoi pas…

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