Inclusix

Ô Toikimeli, sache que si je m’adresse à toi avec ce mot, Toikimeli, c’est parce que.

Parce que si j’avais voulu écrire Cher Lecteur, j’aurais dû ajouter ·ère et ·rice. Or, si je suis pour l’emploi du point médian et de l’écriture inclusive, je n’avais pas envie de m’adresser à toi avec cet artifice typographique. J’ai alors cherché comment m’y prendre, et j’en suis venu en fin de compte à créer ce nom de Toikimeli, qui, cela ne t’a pas échappé, est une subtile contraction de Toi qui me lis.

Oui, j’ai enlevé le « s » final pour être le plus phonétique possible. Encore qu’un moment, pour le gag, j’ai failli écrire Toikimelis·e. Mais peut-être aurais-je été le seul à le comprendre, le gag, alors bon.

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Je suis un homme cisgenre, né en 1956 dans une famille catholique (mais non intégriste). J’ai donc grandi dans un bain patriarcal, bien que largement ouvert — merci maman ! — sur certains combats féministes (droits de vote, partage des tâches, accès aux postes à responsabilités…). Toutefois, j’ai bel et bien appris que « le masculin l’emporte sur le féminin », ne prenant conscience que très récemment à quel point il s’agissait là clairement de politique et non de grammaire. C’est également il y a peu que me sont apparues toute la lourdeur et l’inertie du mot patriarcat.

Écrivant pour ce blog (et un autre avant lui), je me suis donc progressivement senti concerné par les débats sur l’écriture inclusive en général et le point médian en particulier. Le développement de ma fibre féministe aidant, j’ai rapidement été amené à faire des choix.

Suivant les diverses recommandations lues çà et là, je donne la priorité à l’emploi de termes ou tournures non genrées. Et si cela n’est pas possible ou que je ne trouve pas de solution, j’utilise le point médian.

Alors oui, il faut s’y habituer. Mais c’est un apprentissage nécessaire et salutaire à plus d’un titre ; outre la justice faite à une bonne moitié de l’humanité, il parait qu’apprendre à intégrer de nouvelles habitudes est un moyen très efficace de retarder le vieillissement du cerveau, ce qui m’interpelle au niveau du vécu, et à 65 ans, j’te jure, c’est pas une formule !

On entend souvent dire que l’écriture inclusive, c’est illisible. Il est vrai que cette graphie n’étant pas (encore ?) dans nos habitudes, elle représente a priori un obstacle à une lecture fluide. Et si l’on peut imaginer qu’en lecture silencieuse le cerveau aura tôt fait d’identifier le point médian comme un signal clair, il reste qu’il peut y avoir un problème lors de la lecture à voix haute.

J’ai entendu récemment un argument qui m’a convaincu : lorsque je lis « m2 » je ne dis pas « m-petit-2″ ou « m-2-exposant », mais bien « mètres carrés ». J’ai appris ça à l’école et cela fait longtemps que je ne bute plus sur cette abréviation, comme sur km, kg, et autres Mme, nº, etc. De même, il me semble possible de prendre l’habitude, en lisant « les étudiant·es », d’énoncer « les étudiantes et les étudiants » (ou l’inverse). C’est juste une habitude à prendre, largement à la portée de la grande majorité d’entre nous.

Il paraît que cela pose un problème aux personnes dyslexiques, comme d’ailleurs le « m2 » sus-mentionné. Alors si l’on trouvait une solution dyslexo-compatible, j’en serais le premier heureux.  

Quant à l’utilisation du point médian plutôt qu’un autre signe déjà connu (tiret, point, parenthèses…) je pense justement qu’il est préférable de se servir d’un signe spécifique et j’espère que l’industrie informatique nous proposera bientôt des claviers qui l’incluent.

  • Si tu te demandes comment faire sur ton clavier d’ordinateur :
    • Sur mac Os avec clavier suisse romand : alt-maj-h ;
    • Sur mac Os avec clavier français : alt-maj-f ;
    • Sur Windows : alt-250.
  • (Pour d’autres systèmes, voir Wikipédia.)

Personnellement, j’ai mis un peu de temps, mais j’ai fini par avoir ce raccourci dans les doigts et ça n’est plus un problème.

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Tout bien réfléchi, la source de ces difficultés me semble résider en grande partie dans le fait que la masculinisation abusive de la langue française nous a fait prendre de mauvaises habitudes. J’aime cette idée qu’il s’agit bien de la démasculiniser, non de la féminiser. Et notons au passage que démasculiniser n’est pas émasculer ! Rendre aux mots leur mission qui est de dire le réel dans sa diversité. Je reviendrai sur ce point dans la deuxième partie, tant il est vrai que ladite diversité est encore plus grande que je le pensais !

Je crois que nous sommes en train de vivre une évolution certes inconfortable, mais nécessaire. Cependant, certaines des solutions proposées me semblent douteuses : malgré le Prix Art Humanité qui l’a récompensée, la proposition de Tristan Bartolini, par exemple, ne me convainc pas du tout.

Laissons le temps faire son œuvre et nos descendants riront peut-être de nos combats actuels, ainsi que de nos effarouchements et écorchements auditifs (« Autrice, écrivaine, qu’est-ce que c’est laid ! »)…

Et si tu trouves tout ça bien compliqué, un conseil : avant de poursuivre ta lecture, va faire un tour et respire à fond, allume une bougie, sers-toi une verveine ou un whisky, parce que finalement, j’en ai pris conscience récemment, c’est pas si simple :

Alors que je m’habituais progressivement à cette parole et cette écriture inclusives, j’ai commencé parallèlement et sans aucun lien de cause à effet à découvrir un monde dans lequel cette forme d’inclusivité est vécue comme étant excluante.

En effet, si cela fait quelques années que je n’ai plus de problème à accepter (j’écris bien accepter et non tolérer) l’homosexualité, j’ai commencé plus récemment à m’intéresser de plus près à la parole des transsexuel·les, lesquel·les m’apparaissaient inconsciemment jusque là comme des… en fait, je sais pas. Probablement que des scories de mon éducation me faisaient confusément ressentir la transsexualité au mieux comme une forme de bizarrerie douteuse, au pire comme une maladie ou une perversion, même si je n’aurais peut-être pas osé le formuler aussi crûment. Je sais pas. Mais ce qui est sûr, c’est que ma position n’était pas claire. N’ayant jamais été en contact avec des personnes trans, je n’ai jamais pris le temps de questionner ladite position afin de la clarifier.

En écoutant des podcasts passionnants, particulièrement deux productions de binge.audio (Les Couilles sur la table et Camille), j’ai entendu à plusieurs reprises s’exprimer des personnes appartenant à ces minorités de genres. Ces écoutes ont eu deux effets sur moi :

Dans un premier temps, j’ai pu mieux comprendre certains mots (transgenre, cisgenre, non binaire, queer, LGBTQIA+…) et j’en ai découvert d’autres (adelphes, deadname, passing).

Et surtout, j’ai été touché par le discours de ces intervenant·es ; choqué de réaliser la quantité de violences de toutes sortes qui leur sont faites, mais aussi enthousiasmé par certains de leurs propos que je percevais comme profondément humanistes.

Finalement, je peux dire que j’ai fondamentalement changé de regard sur ces personnes ; enfin débarrassé des scories dont je parle plus haut, j’ai pu pleinement accepter enfin leur normalité.

J’ai découvert que, en tant qu’homme cisgenre hétérosexuel, je m’étais jusque-là contenté d’une catégorisation binaire de l’humanité. Et si elle est par certains côtés bien confortable (pour nous, les hétéronormés !), elle s’avère dangereusement réductrice. Cette découverte pour moi est libératrice. L’envie me saisit de prendre dans mes bras une personne trans et de la remercier d’exister et d’élargir mon champ de vision !

Donc oui, cette écriture dite « inclusive » ne l’est finalement pas complètement. Et même s’il est vrai qu’elle rend justice à la moitié de l’humanité, je découvre que les personnes qui appartiennent à ce qu’on appelle les minorités de genres sont fichtrement plus nombreuses que je le croyais. Et si la parole se libère, encore faut-il l’entendre! Nous ne pouvons plus faire comme si de rien n’était ; en ce qui me concerne, j’en suis venu à ressentir une certaine urgence à nous entraîner à être attentif·ves·x à faire sauter certains verrous intérieurs et revoir nos fondamentaux en matière de sexes et de genres.

T’as vu, j’ai écrit attentif·ves·x.

J’ai ajouté un « x ».

Oui parce que si l’on veut rendre leur visibilité aux femmes dans notre langage et notre écriture, beaucoup ajoutent un « x » pour rendre également visibles toutes ces catégories minoritaires. D’autres ajoutent un astérisque.

C’est dire que l’écriture inclusive, qui en contrarie beaucoup, risque d’en contrarier encore plus en continuant, par tâtonnement, à se chercher, à s’inventer, à évoluer, à faire des pieds de nez à l’académie ! Certes parfois maladroitement, mais n’est-il pas normal qu’une telle révolution ne propose pas du premier coup des solutions parfaites ?

Quant aux résistances, n’est-ce pas le propre de ces grands combats ? Le droit à l’avortement et le vote des femmes, pour ne citer que ces deux-là, n’ont pas été concédés par les hommes qui, en entendant les arguments des féministes se sont dit que oui, à la réflexion, ces demandes sont légitimes et nous allons y accéder. Non. Il a fallu combattre, manifester, crier, bousculer, désobéir, batailler, choquer…

On n’est donc pas encore sorti·es·x de l’auberge !

Je ne vivrai probablement pas assez longtemps pour être témoin de cette sortie ; mais si je peux apporter mon gramme de dynamite pour contribuer à faire péter un bout de la porte, c’est volontiers !

Et alors, Toikimelix (!), que penses-tu de tout cela ? N’hésite pas à le partager dans les commentaires !

Femmes, hommes, trans, non-binaires, et j’en passe… ne sommes-nous pas touxtes fait·e·x du même bois ?

6 réflexions sur “Inclusix”

  1. Alors, déjà que j’ai de la peine avec la lecture des textes avec points médians (je préfère le style “Bonjour à toutes et à tous”), tu vois ce que je pense du ·es·x!😉

    Eh, oh, faut pas pousser, hein!😀

  2. Nadia Guillet

    J’ai un grand respect pour tout ce qui vit sur cette belle planète et une énorme admiration pour l’infinie diversité de ce “vivant”. Mais j’ai un peu de peine à m’intéresser à cette question d’écriture inclusive! Toutefois, si tu penses Dominique que ça peut pousser à des prises de conscience, je vais pousser avec toi!!!
    Merci pour tous tes blogs que je lis toujours avec beaucoup de plaisir, vraiment !

  3. Je trouve la graphie de cette écriture dite inclusive particulièrement lourde et déplaisante à lire.
    Pour ce qui est de la traduction orale, il n’est sans doute pas difficile de lire “les étudiantes et les étudiants” pour reprendre ton exemple, mais alors ce n’est plus totalement inclusif, vu la non-inclusion (car pour moi ce n’est pas une exclusion, nuance) des individus s’identifiant “x”, ou s’identifiant autre chose encore.
    Une solution plus élégante serait de rajouter à la langue française le genre “neutre” qui existe par exemple en anglais ou en néerlandais.
    Ledit “neutre du néerlandais ressemblant d’ailleurs à du féminin : “elle est belle” se dit “ze is mooi”, mais “ils sont beaux” ou “il et elle sont beaux” se dit “ze zijn mooi”. Le “Ze” désignant aussi bien un individu (ou objet d’ailleurs) de genre (ne parlons pas de sexe) féminin, mais aussi plusieurs individus (ou objets) quel que soit leur genre.
    Mais là aussi, c’est une refonte grammaticale d’ampleur conséquente.

    Est-il finalement utile d’enfermer les gens dans des cases, et de créer ce faisant de plus en plus de cases, plus petites chaque année? Vois le groupe (pour ce que ça veut dire) des LGB de mon enfance, auquel on a ajouté les T, puis les Q, puis je ne sais plus qui.
    Pour moi, H ou L, G ou B, ou pas, ce sont juste tous des gens. Ou des personnes, au choix.

  4. Merci, Neptune, pour ta participation!

    «Une solution plus élégante serait de rajouter à la langue française le genre “neutre” qui existe par exemple en anglais ou en néerlandais.»

    Je suis bien d’accord avec toi, et j’aurais dû commencer par là. Mais je pense qu’il y a peu de chance de voir cet ajout apparaître comme ça, par pure prise de conscience de celles et (principalement) ceux qui fixent les normes. Ce ne peut — à mon avis — être que suite à une insistance faite de combats, de bousculements, de provocation… et je ressens ces diverses tentatives de formes inclusives comme étant de cette nature.

    «Est-il finalement utile d’enfermer les gens dans des cases, et de créer ce faisant de plus en plus de cases, plus petites chaque année?»

    Là aussi, j’ai envie d’applaudir des deux mains. Cependant, en prenant un peu de recul je me dis que le français nous a enfermés toutes et tous dans un masculin censé être neutre, mais qui est bel et bien ressenti comme masculin, quoi qu’on en dise.

    Il y a bien des preuves comme quoi le fait de dire «chirurgien» n’aide pas les petites filles à envisager ce métier, pour ne prendre que cet exemple. Rien que pour ça, je suis pour l’utilisation d’un langage plus inclusif.

    Je n’ai aucune difficulté à comprendre que les personnes appartenant à des minorités de genre se sentent invisibilisées, et souffrent du fait que l’inclusivité d’un langage binaire contribue à pérenniser cette invisibilité. D’où ce besoin, non de dire «moi aussi je suis là», même si cela s’exprime par une multiplicité de «petites cases» comme tu le dis justement.

    LGBTQUIA+, c’est un acronyme que j’ai longtemps hésité à mémoriser. Et puis, lorsque j’ai compris que, même si je ne suis pas certain d’avoir très bien saisi le sens exact de chaque lettre, il me rappelle que les expériences sont multiples et ont chacune une histoire différente. Comme l’écrivait Camille Regache dans une lettre à laquelle je suis abonné:

    «Être tous·tes “queer”, c’est prendre le risque d’oublier que chaque lettre de l’acronyme porte une histoire politique, un combat spécifique, des positionnements différents dans la société. Chaque lettre de l’acronyme n’a pas la même histoire politique ni la même visibilité. Le mouvement LGBT a longtemps été résumé à un mouvement “gay”, l’importance des personnes trans dans les moments historiques de mobilisation a été longtemps tue.»

    («Doit-on abandonner la dénomination LGBTQIA+?» in LA DOSE, par Camille Regache, chez Binge Audio [www.ladose.binge.audio)

    Je pense que ce besoin de multiplier les «petites cases» pourrait disparaître si la langue française disposait d’un genre neutre. On y revient!

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